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les.actes-en.silence.over-blog.com

sortie de résidences artistiques [laboratoire transdisciplinaire & restitutions pluridisciplinaires

à produire paradoxalement du silence

Mari-Mai Corbel _(sur place) & Francis Coulaud _(à distance) _journal réactif _france

comun et/ou collectif?_Francis Coulaud_rencontres en plusieurs actes_fondcommun_2012

comun et/ou collectif?_Francis Coulaud_rencontres en plusieurs actes_fondcommun_2012

tout au long de la saison, la critique Mari-Mai Corbel et l'auteur Francis Coulaud sont invités à commenter, à contextualiser ou à détourner les recherches et les propositions proposées. durant les actes, ces documents visuels, sonores et écrits seront accessibles
aux spectateurs via le site des grands terrains et une borne informatique in situ.

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[ le labelmarseille me propose d’intégrer le comité de rédaction d’un journal réactif des actes en silence, en compagnie de Mari-Mai Corbel.

j’aborde cette proposition dans une posture particulière : l’impossibilité d’être présent physiquement sur les lieux et dans le quotidien du projet.

de cette contrainte faire un appui : écrire à partir de fragments qui me seront transmis jour après jours par Marine Laligné, médiatrice. des images, des écrits, des sons ; des traces des gestes en cours. des fragments. c’est à dire des vues parcellaires qui contiennent pourtant l’essence d’un tout.

la fabrique d’écriture s’activera par_parmi ces espaces distants : celui du regard porté à distance ; et les espaces dont sont, de fait, cernés les fragments pour être ce qu’il sont.

un jeu de transmission. et le jeu, c’est aussi ce qui définit l’espace par lequel deux éléments s’articulent.

ce qui s’écrira sera du domaine de l’harmonique : une énième voix (silencieuse mais non muette) qui se manifestera par l’agencement polyphonique des autres voix en présence. F.C.

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J-3 _Francis Coulaud

à produire paradoxalement du silence
à produire paradoxalement du silence
à produire paradoxalement du silence
à produire paradoxalement du silence

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J-2 _Francis Coulaud

à produire paradoxalement du silence
à produire paradoxalement du silence
à produire paradoxalement du silence
à produire paradoxalement du silence
à produire paradoxalement du silence

J-1_Francis Coulaud

à produire paradoxalement du silence
à produire paradoxalement du silence
à produire paradoxalement du silence
à produire paradoxalement du silence

Jour J_Francis Coulaud

à produire paradoxalement du silence

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18.04.13 _silence 1

frais-vallon. prendre le métro ligne 1 direction château gombert descendre à frais-vallon. prendre à droite. la piscine est juste là. les tours. l'autoroute. le soleil.

Camille Lorin | Benjamin Charles | Laurent Malone | Lionel Renck | Enna Chaton & Carole Rieussec | Thierry Giannarelli & Stéphane Cousot & Laurent Charles l Laurent Le Bourhis & Melle X | Anne Penders & Isabelle Bats | mountaincutters | Olivier Zol & Mafalda da Camara | Pina Wood & Karine Porciero | Mireille Batby & Anne Brigitte Lorriaux & Silvia Velasquez | Emy Chauveau & David Merlo | Stéphane Nowak Papantoniou | Alfredo Costa Monteiro | Mathilde Monfreux | Pôm Bouvier B. | motif_r (Stéphane Chalumeau)

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[ la responsable de la piscine me dit que la piscine est fermée l'été. je remarque que les tours qui la cernent, très hautes, ont vue sur elle. j'imagine l'été, les enfants dans les tours, avec en bruit de fond les télés allumées et les musiques à fond par 35°C. la responsable dit que l'été, les gens préfèrent aller à la mer. la mer, elle doit se voir de tout la haut, elle n'est qu'à quelques kilomètres. je pense aux enfants que les gens n'emmènent pas à la mer qu'ils voient là-bas et qui regardent la piscine vide par 35°C. les enfants que les gens ne promènent pas. je vois la colerette grillagée qui ceint la base du première étage de la plus haute tour. recueillis en son sein, des sacs plastiques, des canettes, des petits trucs. je me dis que ça doit être amusant de balancer de là-haut par 35°C des petits trucs et d'entendre à peine le "splash" tellement c'est loin des étages supérieurs

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démolition

du spectacle vivant _en silence

la peau des autres

chien

portraits en silence

25225 m3

bill and jaune

voilà.

figures sonores & nus féminins

aller à Eurydice

... [stance]*

βόλος _bolus

tambouille de choc & potions magiques

trace

[ tableau 1/3

présentation _france l 05 mn

poésie & musique _france l 30 mn

mute _in situ in temporis

lecture performative _france l 20 mn

lecture & projection & son _espagne l 30 mn

danse _france l 20 mn

proposition performative _france l 30 mn

performance sonore _france l 120 mn

no(y)ées _équation en mouvement

performance / restitution _france l 20 mn

lecture & projection & son _espagne l 30 mn

_Mari-Mai Corbel

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19.04.13 _silence 2

à produire paradoxalement du silenceà produire paradoxalement du silence

série de nids de ciment sur carrelage. crissements. météorites miniatures. space sound. ire. mon regard tombé sur ce petit bout. se relève et affronte par l'embrasure de la piscine la géométrie d'un habitat collectiviste. rêve de nids douillets pétrifiés contre rêve communiste pétrifiant. cauchemar contre cauchemar.

_Mari-Mai Corbel

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19.04.13 _silence 3

à produire paradoxalement du silenceà produire paradoxalement du silence

la piscine de frais vallon comme un nid renversé. nid provisoire pour une volée d'artistes migrateurs. s'abritant au bord d'un trou. l'habitant pour le faire résonner toute une nuit.

_Mari-Mai Corbel

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20.04.13 _silence 4

à produire paradoxalement du silence

la piscine, quand plus tard les enfants nageront dedans, gardera-t-elle la mémoire d'avoir été l'habitacle temporaire de vingt-neuf et epsilon singularités venus y réaliser des opérations bizarres expérimentations où il s'agit de faire précipiter des matériaux, des corps, des sons, des lumières, un espace-lieu, au contact de beaucoup d'imaginaire ? se souviendra-t-elle, la piscine, qu'il y a d'autres moyens de transports que la brasse ou les bateaux, qu'il est possible d'aller on-ne-sait-bien-où juste en détournant les choses et en déplaçant l'axe des perspectives ?

_Mari-Mai Corbel

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20.04.13 _silence 5

j'arrive en fin d'après-midi et reste jusqu'au début du filage / commence à voir les_actes_en_silence prendre forme / un mouvement organique / doux / les choses se développent ensemble / se juxtaposent / mettent au jour des axes de regards / la piscine de nuit éclairée par quelques projecteurs / des gélatines bleues et rouges / me fascinent les consoles de son / les câblages / les techniciens sur les échelles / les micros / je vois

l'appareil photo de denis sena qui photographie comme il respire

le souffle rauque dans l'installation de lionel renck sur fond de discours philosophique

les préservatifs gonflés - bulbes, bulles ou aéronef pour un homme invisible lilliputien Le laurent le bourrhis

les pierreuses de Camille Lorin - en cristal de larme pour s'entraîner à une boxe d'un genre particulier

Le cahier que j'ai toujours vu à la main d'emy chauveau qui vient avec le bassiste David Merlo perturber les opérations

Les longs cheveux blonds de karine porciero - femme à l'heure bleue - et pina wood dit qu'elle aime le mot "théâtre"

les tentacules d'un gastéropode qui pense voire danse avec ses pieds - avec Stéphane novak papantoniou (Tentaculeux & tubulaires, ed. al dante) sur les sounds de stéphane chalumeau - l'étal des livres que tient prune, des livres que les artistes d'ici ont publiés - envie folle de lire en m'allongeant dans un coin à côté d'eux tous (comme l'enfant joue pendant que les adultes sont à table, heureux que chacun soit à sa place dans l'ordre des générations)

les gargouillements les rauques gutturaux bruits de gorge de mathilde monfreux que j'entends parler avec pina wood et dire : "...beaucoup d'écriture automatique ... texte chenille .... je m'intéresse aux organes ... enfin voilà j'écris comme ça ... "

la solitude de alfredo costa monteiro qui attend qu'on lui monte son dispositif vidéo

la discrétion secrète de Pôm Bouvier

mafalda da camara qui passe, elle prépare quelque chose mais quoi - là un petit pastis à la main

des petites cabines détournées en chambres vidéo

et encore d'autres choses, d'autres noms

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agencement de singularités dans un partage des surfaces, d'un volume et du temps.

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photogénie d'une piscine dont le dôme s'ouvre comme un éventail, de ses ouvertures comme des hublots, qui semblent des projections des fenêtres des tours d'habitat très collectif qui la regardent. ces jeux de regards entre intérieur et extérieur structurent le lieu, lui donnent son âme. et l'intérieur se structure à son tour comme une machine à produire des jeux de regards. les piscines municipales sont des lieux de drague comme chacun sait, des endroits urbains où les corps sont autorisés à se dénuder et donc à se regarder plus ou moins effrontément. souvent à la dérobée. celle-là, plus encore à cause de ses fenêtres hublot, de des axes sphériques (comme un oeil). le dôme : une cornée. un lieu qui invite à l'exposition tout comme au regard intérieur, retourné sur soi quand les yeux clos, l'on voit des images imaginaires impalpables, invisibles. les regards, ici, ne peuvent que sortir des sentiers battus du réalisme (je vois seulement ce que je vois et rien de plus que visuellement etc.). oeil de poisson. surprendre le tremblement de ce qui passe, fulgure, du vivant sous la peau, de qui échappe au "déjà vu", au "représentable". à voir si ce soir... quoiqu'il en soit, déjà là l'atmosphère de fête au sens de suspension du temps ordinaire et dans l'air, cette fébrilité sauvage des jeux dans l'enfance qui créent du merveilleux avec des accessoires banals. le merveilleux c'est quand la mort est impossible tout de suite, quand tout peut prendre un sens symbolique (au sens où dans les contes, les épreuves ont une signification, où il y va d'une quête - peu importe qu'elle n'ait aucun graal en vue).

ce plaisir d'inventer ensemble, je l'ai senti hier soir, frissonner entre les uns et les autres. ensemble à penser l'autre, cet inconnu qu'est l'invité - celui que l'on convie à venir voir ce qu'on lui a préparé pour l'emmener ailleurs et aussi lui faire sentir que c'est possible d'être ensemble et d'être bien sans faire partie de la même famille, du même clan ou de la même tribu. Possible d'être ensemble en partageant des rites qui ne sont pas déjà déterminés pour que l'identité du "nous" se claironne et célèbre comme un exclusion de l'autre (de ce qui n'est pas comme "nous"). à l'inverse, les_actes_en_silence me font penser que les artistes sont des gens qui inventent des rites pour une fois, des rites qui ne re-serviront pas ou à petite échelle et qui loin de consolider un nous qui existerait déjà, font cristalliser provisoirement le sentiment d'un nous bien plus vaste qui n'existe qu'à partir de l'idée que chacun est un autre. quelque chose comme une commune (au sens de julien coupat), d'un comité invisible éphémère.

les invités vont-ils venir ? se demandent les artistes, impatients de voir de partage par-delà les mots et les choses dicibles cette sensation d'un nous où chacun peut venir avec son énigme, son sentiment d'être un autre, d'être seul. Viendront-ils ?

_Mari-Mai Corbel

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21.04.13 _micro [...]

à Camille Lorin | Benjamin Charles | Laurent Malone | Lionel Renck | Enna Chaton & Carole Rieussec | Thierry Giannarelli & Stéphane Cousot & Laurent Charles l Laurent Le Bourhis & Melle X | Anne Penders & Isabelle Bats | mountaincutters | Olivier Zol & Mafalda da Camara | Pina Wood & Karine Porciero | Mireille Batby & Anne Brigitte Lorriaux & Silvia Velasquez | Emy Chauveau & David Merlo | Stéphane Nowak Papantoniou | Alfredo Costa Monteiro | Mathilde Monfreux | Pôm Bouvier B. | Stéphane Chalumeau |

et à Mireille Batby.

j'ai abandonné les_actes_en_silence à l'heure du dernier métro. j'étais là depuis plus de six heures. cela ne regarde que moi qui suis peut-être suralimentée côté art. il me faudrait des moments d'intensité capables de vaincre la lassitude qui m'envahit parfois ? ce que j'écris là ne doit pas effacer que cette nuit du 20 au 21 avril n'a pu qu'être singulière pour chacun, justement de par son principe, et c'est beau. je suis restée six heures, le temps de voir la moitié des actes_en_silence, le temps de les voir naître, affronter la réalité, tenter de grandir, s'y convulser, pendant que la pluie s'était rajoutée, et peut-être s'y perdre même avant de renaître ailleurs quand je ne fus plus là. ce qui m'a été rapporté de la suite où enfin la piscine recouvra le silence, redevint une merveilleuse chambre d'échos pour écouter le silence sous les voix, me le fait penser. quoiqu'il en soit, se perdre dans la nuit cela fait penser aussi. ici penser l'art à partir du rapport d'adresse, d'hospitalité, d'accueil et d'écoute, d'altérité.

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quand je suis arrivée à la piscine municipale de frais vallon vers 18 heures, j'ai senti que l'atmosphère qui s'était créée entre les artistes les jours précédents et qui "montait" serait bien trop fragile pour tenir en lice l'arrivée de l'atmosphère du dehors, celle de la réalité, celle de la trivialité. mon texte écrit juste avant de m'y rendre : "20.04.13 _silence 5", était une rêverie d'idéaliste un après-midi plein d'attente - obsolète.

première manifestation de la réalité : l'ordre public et son comité d'accueil voyant, des cars de gendarmes stationnant autour déférés par la mairie et des vigiles à l'entrée. néanmoins ces vigiles se sont montrées discrets et assez sensibles pour que je les surprenne parfois tomber en arrêt devant une oeuvre ou un performer en action.

seconde : l'intendance (billetterie et buvette) ne sont pas à l'extérieur de la piscine mais dedans, en raison de la pluie et de la froidure imprévues. cela casse l'espace derrière le tobogan, brouille la déambulation, crée un sur-place tourbillonnaire, un repère dans un espace qui était conçu comme dépourvu de centre. les deux entrées publiques de ce côté-ci achèvent d'axer l'espace autour de l'inessentiel : billetterie et restauration, une camionnette-restaurant étant garée pile en face d'une d'elles.

autre soucis, les gens en payant ne reçoivent pas la feuille de salle pourtant prévue qui leur décrive le lieu et leur indique les installations, leur annonce les performances et leur donne les noms des artistes. ils sont conditionnés comme s'ils entraient dans une soirée.

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du coup, le lieu qui était conçu, m'a-t-il semblé, non comme un théâtre avec ses petites scènes, son bar etc., mais comme un immense plateau scénographié, voire comme un objet exposé à part entière où les gens feraient en quelque sorte partie de la performance "les_actes_en_silence" dès qu'ils y pénétreraient, tend vers quelque chose de plus indéterminé. la forme sphérique de son toit ouvrant peut même évoquer le chapiteau, donc le cirque. les performances : des attractions. la buvette, qui plus est publicitaire puisqu'une structure marseillaise (le "off" du Marseille 2013) la tient et ne se prive pas de communiquer sur ses activités - à l'aide d'un procédé trop vulgaire pour que j'en fasse état mais qui fricote avec le trafic d'argent -, en rajoute dans cette veine. la puissance scénographique de la situation est assourdie par le brouhaha permanent que cette maudite buvette alimente et légitime. or qui ne sait que l'acoustique d'une piscine est un défi ? pauvre piscine : ses échos cristallins n'intéressent pas la peuplade venue s'y rincer. il faudra attendre la seconde partie pour qu'elle redevienne présente et audible.

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une lutte s'organise en moi pour quand même entendre et voir, malgré les parasites qui brouillent la perception. sensation d'être une myope au poulailler et de rêver d'être tout près. pourtant quand pina wood dit son texte sur les roms, je suis à trois mètres d'elle. la proximité ne se mesure pas en centimètres.

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dans "silence_5", j'ai intuitivement écrit sur l'hospitalité, qualifiant ceux d'ordinaire appelés "spectateurs" d'"invités". comme si j'avais pressenti où le bât allait blesser. accueillir n'est pas à sens unique : les invités doivent se tenir. ce sont les étrangers qui, aussi accueillis soient-ils, font le mouvement d'aller hors de chez eux : ils doivent laisser tomber leurs coutumes en pénétrant le territoire de l'autre. je sais qu'il est plutôt courant de penser que les spectateurs peuvent faire leurs petits bruits, gigoter, "s'exprimer" comme on dit des enfants : "laissons-les s'exprimer" - une liberté d'expression réduite à protéger le centre egotique de ce qui pourrait le déstabiliser. je n'ai jamais été d'accord avec cela. la maison de l'art c'est une zone franche, étrangère à la vie triviale. les artistes ne parlent pas la même langue que celle du monde terre-à-terre - ils inventent souvent la leur d'ailleurs. ils préparent des fêtes. la fête se galvaude dans l'idée d'un débordement alcoolisé et transgressif. mais son sens profond est suspension du temps ordinaire. ce supens ne veut pas dire qu'on entre dans un temps merveilleux mais qu'on arrête de se préoccuper des sujets familiers, de vivre comme si de rien n'était. il n'y a pas rien. On interrompt l'affairement et on relève la nuque. on lève les yeux et on s'accorde le temps de regarder et d'écouter l'autre, de lui accorder la préséance : on s'oublie. on suspend la lutte pour la vie. cette fête, elle se prépare, non seulement du côté des artistes mais aussi des invités. c'est vrai, c'est parfois fatiguant de demeurer une, deux, trois voire quatre heures concentrés pour écouter et regarder. mais la porte est ouverte. et pour moi, c'est bien plus épuisant de zoner un verre à la main en tentant de ressentir quelque chose, en cherchant à me rapprocher alors que la réalité ne cesse de s'interposer.

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alfredo costa monteiro m'a redonné un peu de vie. lui a su créer son propre espace à l'intérieur de la piscine en s'installant face au mur lattéral du bassin. en tant que musicien, il sait aussi aussi quelques petites choses d'acoustique qui l'ont rendu parfaitement audible. il disait un texte - de sa main - parlant du temps, du temps qui, privé de l'attente, n'est plus du temps. c'était comme s'il parlait aux gens au-desus de lui autour du bassin qui ne l'écoutaient pas et buvaient. on vous parle et vous continuez à causer, juste là à respirer un fumet artistique - ça donne l'illusion d'être moins vides. le temps du zonage est sans attente, sans désir exposé. mort. alfredo costa monteiro jouait à mêler à ses mots des sons et des projections de lueurs, rappelant des miroîtements d'eau au soleil. je voyais l'objet de désir derrière, au loin, menacé d'effacement et soudain refaisant surface. ma lutte intérieure pour recevoir ce qui m'était adressé. alfredo costa monteiro nous tournait le dos : ce qui était à voir c'était ce qu'il projetait dans l'espace et dans l'air. la lueur de l'art : cette chose impalpable qui se forme dans l'imaginaire de chacun, cette chambre où se développent les visions. on ne voit jamais ce qu'on regarde quand on regarde une oeuvre mais on voit en plus de ce qu'on regarde et cet "en plus", c'est tout le travail de l'artiste de le faire germer dans nos regards. c'est cela, ce que l'on attend quand on vient voir ce que font les artistes. on attend de voir, de penser, de sentir. encore faut-il travailler à sa propre écoute. attente. sans désir, rien ne se dévoile.

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y a des choses magiques qui dans le noir scintillent mais qui, au jour, paraissent des objets insignifiants, ternes. le regard d'un invité doit savoir faire ce noir.

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"l'autre" dans un lieu d'art, ce n'est pas le visiteur ou le spectateur mais l'artiste : c'est lui qui nous accueille dans son territoire : nous sommes ses étrangers, ses hôtes. il nous a préparé quelque chose : à nous de nous tenir.

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un incident vers 18H30 : un jeune homme, visiblement simple d'esprit, est entré, curieux. il est grand, corpulent, et maladroit. il s'approche de l'installation de lionel renck et veut la toucher. la machine qu'il atteint est postée dans un petit bassin de trois centimètres d'eau. Le garçon, soudain déséquilibré, prend appui sur cette machine qui tombe : un rétroprojecteur en jaillit et tombe... à l'eau. la vie ne pardonne pas la maladresse et c'est poignant. les choses de l'art nécessitent d'être gardées - re-gardées - par qui s'en approche. un rien peut les dévaster. l'art demande une initiation : être initié à prendre garde, à protéger du regard ce qu'on regarde, à ne pas toucher mais à être touché. c'est ce qui le rend insupportable car il n'est pas donné, consommable, mais appelle à être protégé. Et ne se donne qu'après ce travail intérieur. Pas accessible à tout le monde. Cruauté de l'art.

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c'était bien dommage aussi que les textes qu'avaient choisi de dire stéphane nowak papantoniou n'aient pas pu résonner dans tout l'espace. ils visaient précisément la débandade qui s'installait. j'ai lu cela, une fois rentrée : "ça s'affaire, ça s'effondre. la fonte du désir ça s'écoule ça se coule dans le béton et puis ça durcit inutile d'attendre la frondaison du désir il est devenu tout dur fondu dru. Ce dont manque l'emprunteur, ce n'est pas de d'argent qui n'existe pas mais du désir qui existe. Il n'y a plus que des empreintes de désir. Des fossiles qui rappellent qu'il y avait des désirs. Des photos, des albums, des souvenirs et tout." (Tentaculeux & tuberculaires, ed. al dante, p. 35). Des traces. Je me rappelle du moment où il a dit : "Ce que nous pensons c'est que le moi est trop isolé pour pouvoir dire encore je. Qu'il s'est affaissé suite à des défaites et que c'est tant mieux. Qu'il ne vit qu'à l'état de vestiges..." (ibid, p. 17) Oui, et c'est cela qui rend impossible l'écoute comme l'adresse. C'était une parole, ça. Et cela aurait pu, entendu, provoquer un frisson collectif. Nous piquer au vif. provoquer des forces de soulèvement. comme y incitait l'électro que stephane chalumeau [ motif_r ] jouait en dialogue. electro et créations de sons assez délicats pour porter les mots sans les couvrir, sauf accidents.

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tout au début des actes_en_silence, emy chauveau a tenté en poussant avec david merlo le son très fort et en criant au micro de réveiller les larves, en vain. elle était drôle, en improvisation, sur son fil, à chercher à rester dans sa parole, au présent, dans ce que la situation lui inspirait sur le vif. donc elle a parlé des gens, de l'écoute, avec son bagoût, elle a parlé de l'ennui, de quand est-ce que ça va commencer, et est sortie, comme si elle actait que ça ne commencerait pas. j'ai compris là que la partie était perdue. ce serait une soirée artistique. mais au moins elle a provoqué cet espace critique-là, qui me permet d'écrire ça.

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provoquer des forces de relèvement, à défaut de soulèvement, c'est ce que cherche l'artiste qui s'empare de la parole, qui à ce moment-là s'isole du corps collectif, lui fait face et s'adresse à lui : là surgit le je qui n'est pas le moi (l'ego, c'est autre chose). on peut dire je sans se référencer au moi - la preuve : la littérature. le moi ce n'est pas le soi. le moi c'est l'égo, l'image qu'on se donne ; le soi c'est la membrane qui vibre quand on est atteint, touché. avec le je, se cherche la sensation, le ressenti qui est éclaté, insaisissable relativement insaisissable, qui est sauvage, qui n'aime pas être fiché : c'est en-deça de l'identité civile que le je vit. en eaux profondes. ce n'est pas je pense donc je suis mais je sens, je dis ce que je sens, donc je suis. question de langage à inventer. dur travail, très dur. la vie n'est pas amusante contrairement aux idées reçues en ce domaine. écrivant là, je la "garde", je la re-garde.

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la fête comme chaque fois que je vis des répétitions d'un travail de théâtre ou que je suis dans une salle à regarder des répétitions. je ressens toujours là ce temps autre comme joyeux bien que difficile, âpre, où l'attention ne cesse d'être soutenue. temps où le dehors n'impose plus ses lois plus ou moins scélérates et son actualité toujours plus horrible. ce n'est pas se couper du monde : c'est se mettre à l'écart pour ne plus être dedans et créer le recul nécessaire pour le regarder. bien souvent quand un artiste oeuvre, il pense non stop au monde et c'est son sujet. et il se prépare à inviter des gens à l'écouter et regarder comment il trouve un langage pour parler de ce monde. mais aussi, il se prépare à inviter des gens à sentir cette atmosphère de la suspension des contraintes, de l'écart au monde, qui rend possible de ressentir, donc de penser. quand on reste dans le monde, on le subit, on est pressurisé. impossible d'entendre la voix d'un poète si le brouahaha la couvre. On n'entend plus alors que la représentation de cette lapalissade : l'art est dérisoire, le poète inutile et l'écrasement fatal. non. si pina wood lit exprès tout bas un journal qu'elle a tenu pour avoir partagé les viscissitudes de la vie de roms à marseille, tout en projetant sur des hublots de la piscine de magnifiques plans fixes de leurs visages, c'est certes pour qu'on n'entende pas bien, mais ce qu'on a entendu ce n'est pas le murmure à peine audible d'une petite voix qui tente de s'élever en plein régime opressif, donc en pure perte, mais l'impossibilité de ressentir cette difficulté à entendre. un homme soudain a hurlé : silence ! ce qui a perturbé brièvement les invités tout autour.

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silence - le silence de l'art appelle mon écoute et pour écouter je fais silence en interne, car la chambre d'échos où viennent résonner les sens est intime. quasi sexuelle. au bord de l'épicentre du désir / difficile pour moi d'écouter les installations pourtant à l'abri dans des cabines de change, car transformées en salons de thé. trop de dérangements qui oblige à rester sur son quant-à-soi. et le quant-à-soi empêche de rencontrer.

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le scandale c'est qu'un projet comme les_acte_en_silence ne reçoive pas d'argent, n'ait eu aucun moyen (seulement trois jours de répétitions qui furent surtout consacrés à des problèmes techniques et au montage des installations). qu'il n'y ait pas eu de moyens pour proposer au pied levé un vrai bar en extérieur, sous tente (qu'est-ce que le soi-disant "off" de Marseille fabrique en imposant des cahiers de charges aussi inégaux, où en gros il vient poser un label sur le travail des autres sans rien faire ? qu'est-ce qu'il vient proposer sa monnaie locale au nom grotesque de "gaston" s'il ne peut assurer aucune fourniture de matériel ?). Comment ça se fait que dans le cadre de Marseille Capitale de la Culture 2013 un tel projet dans une urbanité aussi marquée de reçoive aucune aide d'aucune sorte ? qu'il soit encore une fois et une fois de plus impossible aux artistes d'avoir le temps de travailler ou même de quoi être payé ? dans quel zone évoluons-nous ?

et qu'est-ce que c'est que ce public petit blanc petit bourgeois qui se comporte comme des petits blancs petits bourgeois qui n'ont pas remarqué qu'il existait autre chose qu'eux-mêmes au monde ? qu'est-ce c'est aussi que les gens qui font comme s'ils ne savaient pas combien si ce n'était pas précieux de venir à l'invitation d'artistes qui présentent des choses quasi gratuitement. l'autre ce n'est pas soi, mais c'est celui qui est séparé de nous : ici, l'artiste. c'est la réalité qui a pris le dessus donc et une fois de plus car c'est monnaie courante aujourd'hui dans le "spectacle vivant", l'autre a été malmené. et l'idée de performance très belle, situationniste dans l'âme, peut aussi se galvauder pour venir masquer tout simplement l'impossibilité de préparer la fête avec toutes les attentions requises.

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il reste un filament de temps effiloché, un moment, un passage. un espace désaxé. la solitude soulignée dans cet espace. l'impuissance à se sentir ensemble. et la douleur d'être empêché de s'approcher, empêché d'être près et avec l'artiste écouté ou regardé. la surpuissance de la distraction contre la fragilité de la concentration. l'indifférence à la présence. et tout autour, ces tours, ces barres, ces habitats collectifs pauvres, ignorés, toujours aussi loin de tout. l'abandon. cette idée du courage toujours mis au défi. il vrai que c'est cela, notre temps.

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comme je l'ai écrit dans "silence_5" de façon intuitive encore une fois, la piscine de frais vallon s'est transformé en oeil géant. et dans l'oeil, on ne voit rien. j'espérais qu'on entrerait dans la chambre de l'imaginaire, dans un royaume de visions. le monde est peut-être devenu cet oeil de cyclope qui cherche à se voir, en vain. le cyclope n'a pas de nom.

_Mari-Mai Corbel

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Francis Coulaud

il initie son travail d’écriture en 2001, en lien avec sa pratique d’acteur et plus largement avec la notion de transdisciplinarité.

il a écrit plusieurs textes pour le théâtre, la danse et le chant.

ses travaux ont été régulièrement soutenus par le Centre National des Ecritures du Spectacle, le Centre National du Livre, le Centre National du Théâtre.

il crée et anime de nombreux ateliers d’écriture et de théâtre en France, en Suisse et en Colombie.

il intervient en milieu psychiatrique depuis 2003 (création et animation d’ateliers théâtre et écriture ouverts aux soignants et aux patients).

il chante depuis 2005 au sein du groupe de création sonore a capella le nom commun.Il intervient en tant que formateur auprès d'un public adulte (Hôpitaux de Marseille, CREFAD Auvergne, Université Marseille-Provence).

certains de ses textes ont été publiés dans les revues le capital des mots , le bâteau fantôme , le fond commun et efadine .

il participe depuis 2011 à différents projets du groupe Ici-Même [tous travaux d’art] , notamment l’Opératour, programmé par le Théatre du Merlan Scène Nationale en avril et mai 2013.

http://fc13.wordpress.com/

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Mari-Mai Corbel

engagée dans une recherche d’écriture après des études de droit public, et passionnée de théâtre, elle rejoint la revue Mouvement en 2003 et son comité de rédaction. elle interroge la position du critique d'une manière qui l’amène à concevoir une "performance critique" - un critique seul en scène (Il faut brûler pour briller, Paris, 2007 ; Bancs Publics, 2008, et galerie Vol de Nuit, 2009, à Marseille). elle intervient comme dramaturge ou regard extérieur (Yan Duyvendhak, Claudia Bosse, Clyde Chabot...). elle rencontre Nicolas Guimbard et commence à travailler avec lui. en juin 2008, ils font un essai, Reversus / Dolor (Naxos-Bobine). en 2009, ils écrivent Matériau-X #1... août 2012, une performance Masamour (Matériau-X #2) aux grands terrains (Marseille). elle écrit régulièrement sur son blog des textes critiques - http://corbelmarimai.wordpress.com/. elle écrit actuellement un récit.

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à produire paradoxalement du silence
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